Genève, le 8 mai 2024

Professeur-es, enseignant-es, chercheur-ses et membres du personnel de l’Université de Genève, nous apportons notre soutien moral et logistique à l’occupation pacifique du hall d’Uni Mail par nos étudiant-es depuis le 7 mai [edit du 14 mai 2024 : les étudiant-es occupant Uni mail ont été expulsés par la police autour de 5h du matin et emmenés menotés, après un dépôt de plainte de la rectrice pour violation de domicile]. Nous soutenons avant tout l’auto-organisation étudiante de cette lutte, en considérant que l’université est un lieu d’expression démocratique auquel l’ensemble de la communauté universitaire est en droit de participer, y compris celles et ceux qui y étudient. Le mouvement d’occupation du hall d’Uni Mail redonne pleinement sa mission démocratique à l’université, tant dans la forme que prend cette lutte (en faisant d’Uni Mail un véritable « lieu » démocratique) que dans la prise au sérieux des savoirs critiques produits et dispensés à l’UNIGE.

Les revendications de nos étudiant-es sont légitimes et leur appartiennent, et nous soutenons pleinement cette démarche revendicative, ainsi que la négociation menée sur cette base avec le rectorat de l’UNIGE.

      1. La forme-occupation

Plus que de simples lieux de formation et de recherche, les espaces universitaires sont de véritables lieux de vie. Fréquentés au quotidien par nos étudiant-es, il nous apparaît légitime que ces lieux de vie soient spécifiquement choisis par nos étudiant-es pour protester collectivement. Leur mouvement d’occupation du hall d’Uni Mail s’inscrit en effet à la suite d’une longue tradition de lutte estudiantine : par le passé, de nombreuses universités ont été occupées à travers le monde par leurs étudiant-es – notamment dans le cadre de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, pour défendre le boycott du régime d’apartheid en Afrique du Sud, pour soutenir l’opposition aux guerres impérialistes au Vietnam et en Irak, mais aussi pour porter des revendications en faveur de la communauté étudiante et des droits sociaux en général. De toute évidence, l’opposition au régime d’apartheid imposé par l’Etat israélien en Palestine et au génocide perpétré à Gaza depuis le mois d’octobre poursuit des aspirations émancipatrices et pacifiques similaires.

      2. Savoirs critiques

La mission du corps enseignant universitaire consiste, pour nous, à accompagner nos étudiant-es dans leur formation aux savoirs critiques, afin de leur permettre d’exercer pleinement et de façon autonome leur engagement démocratique. Ce n’est que de cette façon qu’iels seront en mesure de faire face aux défis politiques contemporains, en luttant notamment contre les injustices qui les touchent, afin de porter des revendications concernant la transformation des institutions.

Leur mouvement d’occupation s’inscrit ainsi à la suite d’une réflexion permise par ce lieu ouvert qu’est l’Université de Genève, à partir d’une appropriation des savoirs critiques auxquels iels ont été formé-es. Pour prolonger cette fonction émancipatrice de l’institution universitaire, la liberté académique des praticien-nes de la recherche doit absolument être garantie, d’autant plus dans un contexte où elle fait l’objet de puissantes attaques. La production de savoirs critiques doit nécessairement être autonome du pouvoir politique, dès lors qu’ils ne sont pas à son service mais à celui de la vie démocratique.

      3. Rapport au monde académique israélien

Nous comprenons les préoccupations de nos collègues à propos des conséquences des revendications de boycott universitaire sur leurs collaborations scientifiques, en particulier les inquiétudes quant aux possibles effets contre-productifs sur la production de savoirs critiques - notamment ceux produits par des chercheur-ses israélien-nes opposé-es à la politique coloniale. A cet égard, nous souhaitons cependant rappeler le lien étroit entre les universités israéliennes et la perpétuation du régime d’apartheid[1]. Par ailleurs, nous n'oublions pas les universitaires palestinien-nes tué-es par les bombardements à Gaza depuis le mois d'octobre.

Nous considérons ainsi comme légitime que les étudiant-es mobilisé-es au sein du mouvement d’occupation investissent les revendications de transparence et de suspension des collaborations institutionnelles entre l’UNIGE et les universités israéliennes impliquées dans la légitimation du régime colonial.

      4. L’engagement de l’UNIGE pour les droits humains

Dans sa prise de position de politique générale en date du 1^er mai 2024[2], l’Université de Genève affirme qu’elle « s’engage pour la protection des civils, le respect des droits humains et du droit international humanitaire, la résolution des conflits. Elle le fait au travers des rendez-vous qu’elle propose à la cité ou au travers de l’expertise qu’apportent les membres de sa communauté ». Le mouvement d’occupation d’Uni Mail s’inscrit pleinement dans cet engagement, les étudiant-es faisant partie de la communauté universitaire au même titre que le corps enseignant et scientifique.

L’UNIGE exprime également le souhait que « la forme revêtue par les événements ou prises de parole – tout comme le contexte dans lequel ils se déroulent – doit toutefois prendre en compte les sensibilités des membres de la communauté universitaire, protéger leur droit à un environnement de travail et d’étude sain, dans lequel ils et elles peuvent évoluer sans craintes et sans menaces ». Nous ne pouvons que constater que le mouvement d’occupation en cours remplit pleinement ces critères, auxquels la rectrice de l’université a réaffirmé son attachement ce matin.

Notre université considère qu’elle ne doit pas imposer une grille de lecture politique mais seulement les conditions d’un débat ouvert et respectueux. En tant qu’enseignant-es et chercheur-ses, nous considérons que condamner un génocide ne peut être assimilé à l’ imposition d’une grille de lecture mais qu'il s’agit bien de s’engager dans la défense élémentaire des droits humains fondamentaux. Un tel positionnement est le seul digne des valeurs portées par l’Université de Genève.

 

Liste des 331 signataires (mise à jour le 15 mai à 13h30)